par swift11 » 17 Mars 2020 17:36
A l'opposé des pays qui prônent le confinement, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a déclaré lundi vouloir favoriser le développement d'une immunité collective aux Pays-Bas. Qu'est-ce que cela signifie?
Eclairage avec Yves Coppieters, médecin épidémiologiste, professeur à l'Ecole de Santé publique de l'ULB.
En quoi consiste exactement la stratégie de l'immunité collective?
L'immunité collective consiste à laisser diffuser naturellement le virus dans la population. Cela revient à laisser les gens se contaminer naturellement par contacts interhumains. Au lieu d'appliquer la stratégie des gestes barrière, on laisse circuler le virus tout en protégeant quand même les populations les plus vulnérables que sont les personnes âgées et celles qui auraient un déficit immunitaire ou une maladie chronique. En résumé: on laisse la libre circulation avec quelques mesures protectrices envers les populations plus fragiles.
Quel est le but visé?
L'immunité collective vient de la vaccination. Si l'on vaccine les enfants à raison de 80 ou 90 % dans une population, on sait que l'on empêche la circulation du virus puisque celui-ci va chaque fois s'affronter à des gens qui sont naturellement immunisés. Pour la vaccination, c'est le vaccin qui va entraîner l'immunité, alors que pour l'immunité collective, on ne propose pas un vaccin ou une thérapeutique, mais on laisse faire naturellement cette immunité avec l'agent infectieux.
Que penser de cette stratégie dans le cas présent?
En terme de santé publique, cette stratégie est en l'occurrence tout à fait inacceptable. Elle fait froid dans le dos puisque l'on sait que, pour le nouveau coronavirus, entre 15 et 20 pc de la population vont développer une forme plus sévère de la maladie. Parmi ces personnes, certains devront bénéficier de soins hospitaliers intensifs.
Avec toutes les conséquences que cela suppose…
En effet, cette situation entraînera une mortalité très importantes parmi ces 15 à 20 pc parce qu'il va y avoir un engorgement du système hospitalier et une non prise en charge de certains patients. Certains prédisent jusqu'à 510 000 morts au Royaume-Uni avec cette stratégie.
Le Royaume-Uni, au départ, et à présent les Pays-Bas défendent cependant cette stratégie de l'immunité collective, avec toutefois certaines "marche-arrière" pour les premiers…
En effet, suite à l'influence de scientifiques, des politiciens britanniques ont quand même fini par renforcer considérablement les mesures de protection par rapport aux populations vulnérables. Il ne prévoit cependant ni fermeture des écoles, restaurants ou salles de spectacles, ni interdiction formelle des rassemblements. Notre scénario est, lui, basé sur les mesures de protection et de confinement. Si on étale l'arrivée des nouveaux cas, on sait très bien que la mortalité sera moindre puisque l'on va mieux gérer les situations compliquées dans des hôpitaux non engorgés.
A-t-on une idée du pourcentage de personnes qui seront in fine immunisées chez nous avec notre stratégie?
Avec précision, non, mais il est clair qu'une grande partie de la population sera immunisée naturellement. Actuellement, d'ailleurs, une partie de la population a déjà été en contact avec le virus et a développé son immunité naturelle. Mais avec les mesures de confinement, on ne va sans doute pas arriver à une immunité naturelle de 60 pc et ce n'est pas le but recherché.
Ce taux d'immunité naturelle auquel nous allons arriver sera-t-il suffisant pour empêcher la circulation du virus?
Non, et c'est bien le problème. Avec le taux auquel nous allons arriver, le virus aura encore assez de personnes à contaminer. Mais c'est un choix que nous avons fait. L'idée est de ne pas envisager cette immunité naturelle comme barrière mais se dire : on confine, on protège, on diminue le nombre de nouveaux cas pour infléchir la courbe épidémique et on gère au mieux les cas compliqués.
Jusqu'au moment où le virus réapparaît?
Là, il faut se calquer sur l'expérience de la Chine, qui a utilisé la même stratégie. Ils sont en train de lever les mesures de confinement, les conditions climatiques n'ont pas changé fondamentale… C'est maintenant que nous allons voir, ou non, une résurgence de nouveaux cas. Mais a priori, en observant l'évolution des chiffres, il y a moyen d'être optimiste.
Si les Pays-Bas décident d'adopter cette stratégie d'immunité collective et non les autres pays voisins, cela-t-il un sens?
Ce sont les incohérences des politiques sanitaires européennes. Nous avons des scénarios, confinement ou immunité collective, pour lesquels on ne connaît pas l'efficacité. Simplement, en termes de santé publique, il nous paraît plus important de limiter la mortalité et la propagation du virus plutôt que ne pas savoir gérer les cas graves dans le système de santé avec une diffusion naturelle. C'est le choix de santé publique que nous avons fait et qui, je pense, est raisonnable.
Quel est le risque que les Pays-Bas font courir pour les pays frontaliers en adoptant l'immunité collective?
Il est clair que si un pays voisin choisit l'immunité collective plutôt que le confinement, la circulation du virus, beaucoup plus importante chez eux, va fatalement revenir chez nous au moment où l'on va lever notre confinement. Et, dès le moment où les gens vont recommencer à sortir, ils seront à nouveau en contact avec le virus si on ne leur laisse pas le temps de développer cette "barrière" immunitaire chez eux. Donc, oui, les Pays-Bas deviendraient un risque pour nous.
Y a-t-il un risque de rebond, chez nous, une fois les mesures levées?
Une étude en Chine montre qu'il y aurait potentiellement 14 pc de réinfections possibles, avec l'hypothèse éventuelle d'une mutation du virus. La question se pose donc sur notre immunité à long terme. Si nos mesures de confinement ne développent pas suffisamment cette immunité collective, oui, bien sûr, dès que l'on va lever les mesures de confinement, et que le virus sera à nouveau en circulation, il risque d'y avoir une recrudescence des cas, mais toujours avec un système de santé capable de les absorber.