par Anthony » 16 Fév 2006 11:07
«Avec la TV haute définition, BeTV va reprendre la main»
ENTRETIEN AVEC DANIEL WEEKERS, ADMINISTRATEUR DÉLÉGUÉ DE BE TV
Après une année 2005 agitée, au cours de laquelle elle a perdu les droits du football belge au profit de Belgacom TV, Be TV a dû revoir sa stratégie et anticiper certains investissements. Daniel Weekers, le patron de la télévision payante, mise beaucoup sur le passage des télédistributeurs wallons au numérique et sur la haute définition, qu'il rêve de lancer en juin lors de la Coupe du Monde de football.
Depuis l'été dernier, Be TV n'est plus seule dans le créneau de la télévision payante. Avec sa télé sur ADSL, Belgacom broute désormais dans le même pré carré. Lorsque Be TV a perdu les droits du football belge au profit de la nouvelle venue, certains se sont même interrogés sur la viabilité de la chaîne cryptée dirigée par Daniel Weekers. Sans compter que Belgacom TV s'apprête à lancer des bouquets de chaînes payantes.
Malgré la division de ses principaux actionnaires, les télédistributeurs wallons (qui détiennent 68,1 % du capital) et leur retard dans la numérisation de leurs réseaux, Daniel Weekers ne se démonte pas ; ce n'est pas son genre. Il a revu sa stratégie et débloqué de l'argent pour investir notamment dans la télévision à haute définition (dont la qualité d'image est quatre fois supérieure aux standards actuels), qu'il annonce comme la révolution technologique de 2006. Tenue sombre et bronzage toujours aussi éclatant, «Dany» reçoit Trends-Tendances dans sa somptueuse villa de la périphérie bruxelloise.
Trends-Tendances. Voilà six mois que Belgacom TV diffuse les matchs du championnat de Belgique de football, naguère une de vos exclusivités avec le cinéma. Certains disaient que vous ne vous en remettriez pas. Comment se porte Be TV aujourd'hui ?
Daniel Weekers . Depuis le lancement de Belgacom TV, nous n'avons perdu que 3 % d'abonnés à nos six chaînes premium (Ndlr, généralistes, par opposition aux chaînes thématiques) . Nous en avons aujourd'hui 130.000. Sans la perte du foot, nous serions à 145.000-150.000 abonnés. Cette arrivée a donc gelé notre croissance. Nous espérions être à l'équilibre en 2006. Ce ne sera pas le cas. Cela dit, nous avons limité la casse l'an dernier. Ainsi, le nombre d'abonnements (Ndlr, avec des formules associant chaînes thématiques et/ou premium ) a nettement augmenté pour atteindre le cap des 260.000. Alors que nous pensions enregistrer une perte de A 6,5 millions en 2005, celle-ci ne sera que de A 4,5 millions.
Comment avez-vous réagi face à cette nouvelle concurrence ?
Nous avons dû revoir la stratégie. Nous avons ainsi augmenté l'offre sportive en acquérant une partie des droits sur la Ligue des Champions de football. Nous avons aussi renforcé tous les contrats à long terme sur les droits sportifs ainsi qu'avec les majors du cinéma. Du côté des séries, on propose tout ce qui se trouve sur le marché. Pour ce qui est des chaînes premium, je ne vois pas comment encore augmenter notre offre. Nous avons aussi amélioré nos bouquets de chaînes thématiques. Nous avons six chaînes premium et 58 chaînes thématiques. Nous sommes limités à cela. Du moins aujourd'hui.
Cela veut dire qu'il y a un demain...
Oui, les télédistributeurs wallons (Ndlr, désormais regroupés en deux entités : les réseaux de l'ALE-Teledis et de Brutélé d'une part, les réseaux des intercommunales mixtes d'autre part) vont normalement passer au numérique d'ici deux à trois mois. C'est très important pour eux car leur image a été écornée par Telenet et Belgacom TV, qui se sont lancés avant eux dans la technologie numérique. Dans quelques mois, de l'espace pour de nouvelles chaînes va donc se libérer sur le câble wallon. Mais le problème ne résidera pas dans une question de capacité, mais de choix. On pourrait placer 200 chaînes mais, franchement, ce n'est pas intéressant, car nous avons toutes les bonnes chaînes francophones. Il faudra aussi voir ce qui se passe à l'étranger. La fusion de Canal Satellite et de TPS en France, fin 2005, entraîne des changements dans l'offre. Certaines chaînes thématiques, comme Match TV par exemple, vont disparaître.
Dans la mesure où ils vont offrir de nouvelles chaînes, les télédistributeurs, à savoir vos principaux actionnaires, ne vont-ils pas entrer en concurrence avec vous ?
Non, car ils vont rester dans le gratuit généraliste, comme le Classic Plus de Belgacom TV, c'est-à-dire environ soixante chaînes en clair. Nous avons toutes les chaînes premium , les chaînes du bouquet et les options. Entre les deux se trouve cette zone floue de bouquets dits «ethniques» : des chaînes généralistes s'adressant à certaines communautés étrangères, pour lesquelles un petit paiement serait demandé. Cela ne va pas arriver chez nous. Ce marché n'est pas très important.
Pour émettre en numérique, il faut un décodeur spécifique. C'est un gros marché, qui vous intéresse au plus haut point...
Le passage des télédistributeurs au numérique va en effet permettre des économies d'échelle pour ce qui concerne les décodeurs. Nous avons eu beaucoup de discussions avec eux à ce sujet, mais nous ne voulons pas essuyer les plâtres. On l'a assez fait ! Nous avons choisi de patienter car les décodeurs évoluent très vite, tant en termes de normes de cryptage que de normes Mpeg 2 et Mpeg 4 (Ndlr, normes de compression permettant la multiplication de chaînes sur un même canal), de disque dur et de compatibilité avec la haute définition, etc. Les prix dégringolent très vite. On est donc prudent. Cela dit, les télédistributeurs visent le grand public, ils doivent proposer des décodeurs bon marché. C'est le cas de nos décodeurs actuels. Nous avons un parc de 115.000 décodeurs numériques installés chez nos abonnés, soit 8,5 % des foyers francophones. Grâce à nous, les télédistributeurs vont donc pouvoir diffuser directement leur offre numérique.
Et pour les autres clients, c'est-à-dire l'immense majorité ?
Nous allons fournir 25.000 décodeurs que nous avons en stock aux télédistributeurs. Ils vont sans doute en commander entre 50.000 et 100.000 dans les semaines qui viennent. Ils vont nous sous-traiter toute la logistique et l'approvisionnement des points de vente, car nous avons un réseau de 300 revendeurs agréés, ce que les télédistributeurs n'ont pas.
La prochaine étape ne devrait-elle pas être la télévision à haute définition (TVHD) et, pour vous, l'occasion de reprendre la main sur le plan technologique ?
On a le pied posé sur la pédale d'accélérateur, mais on n'a pas encore appuyé dessus ! Grâce à notre savoir-faire technologique, nous sommes déjà prêts, mais nous n'avons pas encore pris les décisions ultimes. Nous sommes convaincus que nous possédons là un sérieux atout par rapport à Belgacom TV. La haute définition peut passer sans problème par le câble de la télédistribution dès cette année, alors qu'il n'y pas encore assez de capacité avec l'ADSL. Or, pour voir un match de foot sur grand écran en haute définition, il ne faut pas de limite de capacité, sinon cela ne sert à rien du tout. Je vous assure que quand on a vu un film en haute définition sur grand écran, on ne peut plus s'en passer ! La vente d'écrans plats a décollé l'an dernier (Ndlr, plus de 50 % des écrans plats vendus aujourd'hui sont labellisé HD Ready, à savoir, prêts pour la haute définition) et on s'attend à un boom des ventes avant la Coupe du Monde de football en juin prochain. Je pense donc que 2006 sera l'année de la haute définition comme 2005 a été celle de l'iPod. Mais il reste encore plusieurs questions à régler : il faut déterminer le marché, examiner les droits et équiper les gens de décodeurs spécifiques.
Quand ces décodeurs haute définition arriveront-ils ?
Bientôt. L'objectif est de diffuser la Coupe du Monde en haute définition. Nous négocions avec la RTBF, qui en détient les droits. Ce serait un beau coup d'envoi ! Mais je n'ai pas encore d'accord formel. Si ce n'est pas pour la Coupe du Monde, ce sera pour un peu plus tard.
Allez-vous faire un bouquet en haute définition ?
Pas encore, car l'offre est insuffisante. Le premier film porno tourné en haute définition est sorti, mais ça ne suffit pas ! Il faut des programmes attrayants, pas des photos de la Terre diffusées en boucle ou des dessins animés, cela n'a aucun intérêt. En revanche, qu'il s'agisse de films ou de sport, on dispose déjà de suffisamment de produits pour faire une chaîne premium en haute définition.
Quand pourriez-vous lancer cette chaîne ?
Cette année.
Est-ce prioritaire par rapport au lancement de la vidéo à la demande (VOD) ou du décodeur à disque dur, deux produits dont on parle de plus en plus ?
Oui, car si le décodeur à disque dur et la vidéo à la demande sont plébiscités dans les études de marché, ils ne sont guère utilisés dans les faits ! La vidéo à la demande reste un marché très marginal. Les offres ne sont franchement pas terribles. Nous proposons déjà Be à la séance : des films diffusés à heures fixes, comme dans les hôtels, mais la vidéo à la demande exige des investissements beaucoup plus importants. Nous restons prudents face aux initiatives de Telenet et Belgacom, et nous attendons de voir comment le marché belge réagit. Sans compter que d'autres intervenants vont arriver sur ce marché. Voici un mois, aux Etats-Unis, j'ai été très impressionné par le lancement de Google Video. C'est simple : ce service aura tout, avec une grande facilité d'accès et un prix très attrayant : A 1,50 le film. Le problème de Google ne sera donc pas de faire connaître le produit, mais d'aider le consommateur à s'y retrouver. Car le gros enjeu de la vidéo à la demande n'est pas le nombre de films proposés, mais la convivialité du moteur de recherche des films.
Et le décodeur à disque dur ?
Telenet et Belgacom TV l'ont lancé depuis des mois, mais il n'est pas encore au point ! De plus, Telenet vient d'annoncer que les gens devront payer A 4,5 par mois pour pouvoir enregistrer des émissions sur leur décodeur à disque dur. Quand on réalise que des enregistreurs de DVD se vendent pour une croûte de pain dans les hypermarchés, et que la moitié des gens ne règlent même pas l'heure sur leur magnétoscope, il y a de quoi s'interroger sur la nécessité d'équiper tout le monde d'un décodeur à disque dur ! Pour ces décodeurs haut de gamme, nous voulons d'abord voir comment le marché évolue.
Y aura-t-il deux décodeurs ? Un «normal» et un pour la haute définition ?
On rentre là dans des détails techniques et dans des secrets industriels ! Dans un premier temps, oui : les utilisateurs devront mettre leur décodeur haute définition au-dessus du décodeur basique. Ce n'est pas pratique, mais c'est inévitable.
Avec Be TV, les bouquets de Coditel et ceux de Belgacom, la Communauté française n'est-elle pas trop petite pour accueillir autant d'offres payantes ?
C'est clair qu'avoir plusieurs offres payantes concurrentes en Communauté française n'a pas de sens ! Dans tous les marchés, les opérateurs se battent sur le réseau de vente, les prix, le marketing, les services. Mais pas sur la différenciation du produit. C'est fini. Ils vendent tous la même chose. Les exclusivités tombent car elles coûtent trop cher. Le dernier bastion, c'était TPS et Canal Satellite en France pour des problèmes de personnes et d'egos. Il vient de tomber, puisqu'ils ont fusionné. En Belgique, on fait un peu l'inverse. On réinvente la roue. Le problème, c'est de savoir qui va tenir. Je peux vous assurer que nous ne rencontrerons pas de problème d'ici la fin de l'année. Nous avons un business plan agressif, voté à l'unanimité par notre conseil d'administration. Et nous avons avancé pour 2006 une série d'investissements prévus à l'origine pour 2007, car nous avons réalisé que nous devions reprendre la main sur l'aspect technologique.
Vous êtes présents sur l'offre numérique de Telenet. Pourriez-vous «monter» sur celle de Belgacom TV ?
Depuis le lancement de Belgacom TV en juillet 2005, on se parle régulièrement, mais chacun se positionne. A mon sens, Belgacom pensait que Be TV allait encaisser beaucoup plus mal la perte du foot. Ce ne fut pas le cas. Belgacom TV a connu un démarrage plus lent qu'espéré et rencontré des problèmes techniques. La semaine dernière, ils ont été confrontés à leur première panne : leurs abonnés ont été privés de télé pendant plusieurs heures. Ils doivent aussi voir ce qui marche et ce qui ne marche pas dans leur offre. Mais sur une échelle de 0 à 10 dans les négociations, on en est à 1, 1,5 : aucune proposition n'a été transmise, ni même seulement rédigée.
Autre canal de diffusion possible : la TNT, télévision numérique terrestre (Ndlr, par voie hertzienne, par opposition au câble). Vous y songez ?
Au niveau belge, la TNT n'est pas viable économiquement, car il n'existe pas assez de fréquences, les distances sont réduites, et on a déjà accès au câble et à l'ADSL partout. Le seul marché lié à la TNT, c'est la commission sur la vente de décodeurs ! C'est une niche. On a un émetteur prêt depuis un an à couvrir Bruxelles et le nord de la périphérie. On peut être opérationnel en 48 heures. Un autre élément joue : la RTBF doit passer rapidement de l'analogique au numérique. Belgacom serait prêt à en assurer le financement et demande, en contrepartie, à être l'opérateur de la TNT. Il y mettrait une partie de son offre mais pas plus, faute de fréquences. Quel est son intérêt ? Faire du tort à Telenet et aux télédistributeurs wallons, même au prix d'un investissement à fonds perdus !
La surenchère dans l'acquisition des droits du football belge (A 36 millions, contre A 16 auparavant) sera-t-elle suivie par d'autres ?
Pas pour les droits sur le cinéma, car ce sont des contrats à long terme. Pour le foot, la surenchère n'est tenable pour personne. On parle pour Belgacom d'environ 10.000 à 11.000 abonnés. A A 36 millions par an, ce n'est pas assez ! C'est la preuve que le foot seul ne se vend pas ; il doit faire partie d'une offre globale. Pour le foot italien, ils n'ont qu'un millier de clients. A A 15 par mois, faites le compte : cela génère A 180.000 de recettes par an, alors qu'ils paient A 2 millions, rien qu'en droits. A cela, il faut ajouter les frais techniques, etc. De plus, ils ont habitué les gens au gratuit avec les matchs en clair sur la RTBF, les magazines...
Mais tout cela, c'est de l'argent de poche pour Belgacom...
J'ai des contacts avec des administrateurs de Belgacom et je peux vous dire que, pour eux, perdre quelques dizaines de millions d'euros, ce n'est pas de l'argent de poche. On peut perdre de l'argent en phase de lancement, pas si cela devient structurel ! Et encore moins si on dit que c'est stratégique. Cela dit, je trouve que la stratégie de Belgacom est tout sauf idiote, je leur tire mon chapeau quand je vois ce qu'ils ont accompli en un an. Le choix était simple pour eux : c'était un an et demi trop tôt ou un an et demi trop tard. Ils ont choisi la première solution.
Didier Bellens ambitionne de capter 50 % du marché. Vous y croyez ?
Je n'ai pas de commentaire à faire à ce sujet.
Jean-François Sacré et Robert van Apeldoorn
Tendances, pagina 32, 2826 woorden